A l’origine, les Imazighen "kabyles"…
On désigne sous le nom de Berbères les populations qui, sur un territoire
s'étendant de la Méditerranée au sud du Niger et du Nil aux rivages de
l'Atlantique, parlent – ou ont parlé – des dialectes se rattachant à une langue
mère : le berbère.
D'origine discutée, ce mot, déjà utilisé par les
Grecs et les Romains, transmis par les Arabes, désignait pour ces derniers la
population autochtone et non romanisée de l'Afrique du Nord. Consacrée par
l'usage, cette appellation n'est pas celle que se donnent les intéressés. Les
Berbères s'identifient eux-mêmes par le nom de leur groupe (Touareg, Kabyle) et
utilisent parfois le mot Imazighen, qui signifie «hommes libres», pour désigner
l'ensemble des Berbères. La politique d'arabisation menée par les gouvernements
au lendemain de la décolonisation a suscité chez les Berbères le besoin de
reconnaissance d'une identité culturelle.
Traditionnellement agriculteurs ou pasteurs-nomades, ils ont cependant été
touchés par l'exode rural et leur implantation en zone urbaine a très
certainement accentué ce phénomène.
Histoire des Berbères
Abordée dans l'Antiquité, réduite puis gelée par de subtiles spéculations
généalogiques à l'époque médiévale, reprise à l'époque coloniale, la question
des origines des Berbères, cherchées tantôt dans les sources linguistiques,
tantôt dans les rapports ethniques, reste mal résolue. Au VIIIe millénaire
avant Jésus-Christ, un type d'homme anthropologiquement proche des habitants
actuels du Maghreb fit son apparition. Probablement d'origine orientale, cet
Homo sapiens sapiens, appelé «capsien» – de Capsa, nom antique de Gafsa
(Tunisie) –, serait l'une des composantes de la souche berbère. Il se serait
étendu d'abord aux parties orientale et centrale du Maghreb, puis en direction
du Sahara. On lui connaît des équivalents dans certains pays méditerranéens
(civilisation natoufienne). Le Maghreb s'enrichit aussi d'autres apports; du
nord, par l'est et par l'ouest, à travers les détroits de Messine et de
Gibraltar, arrivèrent des populations européennes. Certaines nécropoles et
tombes maghrébines témoignent de la présence dès le IIIe millénaire d'une
population noire venue du sud, probablement à la suite de l'assèchement du
Sahara. Au IIe millénaire, d'autres petits groupes continuèrent à affluer au
Maghreb. C'est à ce fonds paléoberbère divers, mais à dominante capsienne
(c'est-à-dire appartenant à la culture préhistorique de Capsa), que les
spécialistes rattachent les Proto-Libyens, ancêtres des Berbères. Des données
physiques mais aussi culturelles – même emploi rituel de l'ocre rouge, même
utilisation et décoration de l'œuf d'autruche – sont souvent invoquées pour
appuyer la thèse de la parenté entre capsiens et Proto Libyens.
Les sources
Les Proto-Berbères, installés à l'ouest du Nil, nous sont connus grâce aux
inscriptions et aux documents égyptiens. Les Tehenou et les Temehou au IIIe
millénaire, les Libou et les Maschwesch au IIe millénaire y sont souvent
décrits comme des peuples belliqueux et puissants. Ces Proto-Berbères de l'Est
parvinrent à se constituer en véritable puissance et réussirent, au début du
Ier millénaire, à se rendre maîtres de l'Égypte.
Nous disposons dans l'art préhistorique d'une source relative à l'apparition
des Proto-Berbères dans les massifs centraux sahariens, où des centaines de
peintures rupestres ont été recensées. Les fresques du tassili des Ajjer, du
IVe millénaire au milieu du IIe, figurent pour la première fois des
Proto-Berbères. L'espace saharien, auparavant peuplé de Noirs, vit l'arrivée de
populations blanches, probablement d'origine septentrionale, qui auraient
progressé à partir du bas Sahara algérien et tunisien.
Au Néolithique final et à l'époque protohistorique, la présence des
Proto-Berbères dans le Sahara s'intensifia. Les fresques les représentent
conduisant des chars tirés par des chevaux. L'introduction du cheval dans cette
région – probablement à partir de l'Égypte – permit aux Proto-Berbères de
dominer les pasteurs mélanodermes. Au Ve siècle av. J.-C., Hérodote signala
l'importance des chars sahariens, en précisant que les Garamantes du Fezzan et
du tassili des Ajjer s'en servaient encore pour chasser les populations noires.
Cette occupation du Sahara se poursuivit au début de l'époque historique.
Du Ier millénaire à la reconquête byzantine
Au Ier millénaire av. J.-C., les Berbères se répartissaient en une multitude de
peuples: Nasamons et Psylles en Tripolitaine et en Cyrénaïque, Garamantes au
Sahara oriental, Numides au Maghreb oriental et central, Gétules nomadisant
entre le désert et les hauts plateaux, Maures au Maghreb occidental. Divisés en
de nombreuses tribus parfois rivales, éparpillés sur une vaste aire
géographiquement morcelée, ils ne purent s'unifier face à leurs conquérants
carthaginois, romains, vandales ou byzantins.
Les premiers royaumes berbères
Toutefois, à la fin du IIIe siècle av. J.-C., des tentatives d'organisation
politique et d'unification virent le jour; trois royaumes firent ainsi leur
apparition: les royaumes masaesyle, massyle et maure. Le premier, éphémère, ne
survécut pas à son roi Syphax (avant 220-203) ; le second, au contraire, connut
sous le règne de Masinissa (203-148) un grand essor. Après avoir absorbé son
voisin et rival masaesyle, il s'étendit à toute la Numidie, l'unifia
politiquement et parvint à englober, aux dépens de Carthage, d'autres
territoires situés dans la région des Syrtes. Ce grand royaume se maintint sous
le règne de Micipsa (148-118); mais Rome, installée depuis 146 sur les
dépouilles de Carthage, ne pouvait longtemps s'accommoder de ce voisinage.
Malgré la résistance militaire de Jugurtha (111-105), le royaume numide finit
par tomber sous la dépendance de Rome. Le royaume maure connut le même sort:
les Romains l'annexèrent en 40 apr. J.-C. Dès lors et jusqu'en 429, une grande
partie de l'Afrique du Nord passa sous leur domination.
La domination romaine
La mainmise de Rome ne se traduisit pas par l'assimilation totale des Berbères.
Les Musulames (Numides) sous Tibère, les Nasamons et les Garamantes sous
Auguste et Domitien, les Maures sous les règnes d'Hadrien, d'Antonin, de
Marc-Aurèle et de Commode, les Gétules plus tard s'insurgèrent de façon
répétée, et parfois durable. Au IIIe siècle de nombreuses tribus fusionnèrent
en confédérations et harcelèrent les Romains, au point que Dioclétien finit par
renoncer à la Mauritanie Tingitane ainsi qu'à l'ouest de la Mauritanie
Césarienne. Au IVe siècle le schisme donatiste donna aux Berbères un moyen de
s'opposer à la domination romaine. Le soulèvement des circoncellions, la révolte
de Firmus (372-375), celle de Gildon (398) ajoutèrent aux difficultés d'un
pouvoir romain déjà affaibli. Au milieu du Ve siècle, les Vandales s'emparèrent
de Carthage et occupèrent une partie de l'Afrique romaine, la Tunisie et l'est
de l'Algérie. L'Aurès, la Kabylie, la Mauritanie et la Tripolitaine ne
tombèrent pas sous leur domination et des tribus berbères purent se constituer
en royaumes indépendants. La reconquête byzantine, entreprise en 533, mit fin à
la suprématie vandale et, en quelques mois, l'Afrique du Nord redevint romaine.
Néanmoins, les Berbères continuèrent leur mouvement d'autonomie amorcé au
siècle précédent.
De la conquête arabe à l'Empire almohade
Dans leur conquête de l'Afrique du Nord, les Arabes, qui triomphèrent des
Byzantins, eurent à s'opposer au roi berbère Koçeila (683-686) et à la reine de
l'Aurès, el-Kahéna, (695-700). Malgré cette résistance, les Berbères durent
s'incliner et se convertir à la religion de leurs conquérants: l'islam. Ils y
trouvèrent matière à une tout autre résistance. Par le biais du kharidjisme,
ils entrèrent rapidement en révolte contre les Orientaux. Le mouvement commença
vers 740 à l'ouest puis s'étendit à tout le Maghreb. Son ampleur fut telle que
les troupes arabes mirent plus de vingt ans à récupérer la seule Ifriqiya.
Ailleurs, des États indépendants – petit État des Barghawata sur le littoral
atlantique (744 après 1050), royaumes de Tahert (761-908), de Sidjilmasa
(772-997), de Nakkur dans le Rif (809-917), principauté sofrite de Tlemcen
(765-avant 790?) – échappèrent au contrôle du pouvoir central
abbasside. L'introduction du chiisme ismaélien en Afrique du
Nord eut pour conséquence l'affaiblissement du kharidjisme puis le retour en
force du sunnisme. Après 950, le kharidjisme ne subsista que dans des zones
refuges. Une autre conséquence du chiisme fut la division des Berbères en deux
groupes rivaux: les Sanhadjas, qui avaient embrassé la cause fatimide, et les
Zénètes, qui furent les alliés des Omeyyades d'Espagne. Cette rivalité
s'exprima après le départ des Fatimides pour l'Égypte en 973, et, au début du
XIe siècle, le Maghreb connut un état de fractionnement politique. Les royaumes
berbères se multiplièrent: ziride (973-1060) et hammadide (1015-1163) fondés
par les Sanhadjas; ceux de Tlemcen, de Sidjilmasa et de Fès contrôlés par les
Zénètes. Au Xe siècle, des invasions de nomades arabes de la tribu des
Hilaliens contribuèrent à maintenir ce fractionnement politique jusqu'au moment
où, dans l'ouest du Maghreb, un mouvement berbère cohérent se constitua: le
mouvement almoravide. Partis du Sahara, les Lamtouna entreprirent une conquête
progressive de la partie occidentale du Maghreb. Sous la conduite de leur chef,
Youssef ben Tachfin, ils étendirent leur empire, à l'est, jusqu'au massif de la
Grande Kabylie (1082-1083). Moins de dix ans après, les Berbères almoravides
devinrent maîtres de toute l'Espagne musulmane. L'hégémonie de la dynastie
almoravide persista jusqu'en 1147. Un mouvement religieux, apparu en réaction
contre les mœurs des Almoravides jugées trop tolérantes, fut à l'origine de la
dynastie almohade. Des tribus du Haut Atlas marocain, sous l'impulsion de
Mohammad ibn Toumart, réussirent à unifier tout l'Islam occidental, de la
Tripolitaine à l'Espagne. L'Empire almohade connut son apogée à la fin du XIIe
siècle
La Berbérie étant géographiquement située dans un lieu on ne peut plus
stratégique, fut, au fil des siècles, l’objet de maintes conquêtes.
À partir de la seconde moitié du XIIIe siècle, le Maghreb retrouva un état de
division: Abdelwadides à Tlemcen, Mérénides à Fès, Hafsides à Tunis se
partagèrent la Berbérie. Ni ces dynasties ni les suivantes ne parvinrent à
redonner au Maghreb une quelconque unité. Minés de l'intérieur par le retour
des grandes confédérations tribales, menacés de l'extérieur par les chrétiens,
les États maghrébins de l'Est et du Centre finirent par tomber sous une longue
dépendance turque. L'Ouest, gouverné par les Saadiens (1549-1659) puis par les
Alaouites, ne connut pas plus de stabilité. Aux XIXe et XXe siècles, tout le
Maghreb passa, pour plusieurs décennies, sous la domination française. Depuis
l'instauration de l'indépendance des pays de l'Afrique du Nord et de l'Afrique
noire, les populations berbères connaissent souvent une situation difficile,
tant politique que culturelle, ainsi les Kabyles en Algérie ou les Touareg en
Algérie et au Niger.
Organisation politique des Berbères
Les Berbères connurent plusieurs formes d'organisation politique. Le modèle le
plus répandu et le plus caractéristique semble avoir été une sorte de petite
république villageoise: une assemblée populaire, la djemaa, au sein de laquelle
seuls les anciens et les chefs de famille prennent la parole. Par ailleurs,
nous connaissons deux modèles d'organisation politique citadine. Le premier et
le plus ancien fut de type municipal ; la cité numide de Thugga (Dougga, en
Tunisie) connut au IIe siècle avant J.-C. un gouvernement municipal réunissant,
autour d'un aguellid (magistrat suprême) nommé chaque année, un conseil de
citoyens et de magistrats. Le second, beaucoup plus récent, et de type
théocratique: chez les Mozabites, qui en fournissent le modèle, l'essentiel du
pouvoir est tenu par une assemblée composée de azzaba et de tolba (hommes de
religion) et secondée par un conseil des anciens. Ces unités politiques –
village ou cité – n'étaient pas toutefois le fondement du pouvoir; celui-ci
était accaparé par des entités plus importantes, tribus et confédérations.
L'histoire politique des Berbères est jalonnée par de grands regroupements qui
– comme chez les Numides et les Maures dans l'Antiquité – débouchèrent parfois
sur des embryons d'États. L'exemple le plus original et le mieux connu d'une
organisation politique berbère de type confédéral est celui des Aït Atta, dans
le sud-est du Maroc. Cinq segments, ou khoms, constituaient la confédération ;
celle-ci avait à sa tête un chef suprême élu chaque année dans un segment
différent par des électeurs des quatre autres segments. Chaque tribu conservait
cependant son autonomie et élisait son propre chef. Ce système d'organisation
segmentaire et quinaire, que les Romains nommaient quinquegentiani, dut être
dans l'Antiquité celui des BerbèresÀ ce modèle d'organisation politique, qui
peut être qualifié de démocratique, s'oppose celui, aristocratique, des
Touareg. La société des Touareg du Hoggar était, jusqu'à ces dernières années,
hiérarchisée en classes distinctes: les imohar, nobles guerriers parmi lesquels
était obligatoirement choisi l'aménokal, le chef suprême ; les imrad,
tributaires des nobles, qui constituaient de nombreuses tribus d'éleveurs,
placées chacune sous l'autorité d'un amghar. Cependant, l'absence d'assise
territoriale et de certaines règles politiques élémentaires, notamment celles
relatives à la transmission du pouvoir, contribua pour une large part au
caractère éphémère des États berbères. Les royaumes – ou ce qui fut qualifié de
tel par les auteurs de l'Antiquité – n'étaient souvent que des agrégats de
tribus, voire des chefferies
Organisation sociale des Berbères
L'organisation sociale berbère est de type segmentaire et hiérarchisé. La
famille constitue la plus petite unité sociale ; au-dessus se trouve le
lignage, groupement de plusieurs foyers liés par une ascendance commune et
établis en village, ou en douar pour les nomades. Viennent ensuite la fraction
(ensemble de clans et de villages), puis la tribu (groupement de fractions),
enfin la confédération (alliance occasionnelle de tribus). À l'intérieur de
tous ces segments, les liens du sang – réels au niveau des petites unités,
fictifs dans les grandes – constituent le fondement de la cohésion sociale et
entretiennent chez les membres du groupe un fort esprit de solidarité (corvées
collectives, usage de greniers collectifs, etc.). La vie sociale est régie par
un droit coutumier qui veille à la défense du groupe.
Religion
En l'absence de documents écrits, il est difficile d'appréhender les idées
religieuses des Berbères de la haute Antiquité. Seules les découvertes de
l'archéologie – position des corps, objets d'offrande, animaux de sacrifices –
révèlent l'existence de rites funéraires à cette époque. Puis, par contact avec
d'autres peuples et civilisations, vinrent s'ajouter aux cultes autochtones –
parfois en s'y superposant – ceux de nombreuses divinités. De ces apports étrangers,
le phénicien fut le plus durable. Longtemps après la disparition de Carthage,
des Berbères continuèrent à adorer sous les noms de Saturne et de Junon
Caelestis les divinités phéniciennes Baal Hammon et Tanit. Sans être mineur,
l'apport romain fut sporadique, et se heurta à la résistance culturelle
berbère. Tout autre fut l'influence du christianisme. La position de Carthage
au carrefour de l'Orient et de l'Occident, l'omnipotence à l'époque romaine du
dieu africain Saturne, l'existence précoce en Proconsulaire (Tunisie) et en
Numidie (Algérie) de communautés juives prosélytes préparèrent le terrain et
frayèrent la voie au monothéisme chrétien.
Le christianisme
Le christianisme se développa en Afrique plus tôt que dans les autres provinces
occidentales de l'Empire romain. Dès la fin du IIe siècle, il compta de très
nombreux adeptes. Un concile tenu à Carthage en 220 réunit 71 évêques ; un
autre, vingt ans plus tard, en groupa 90. Ce succès alla croissant malgré les
persécutions répétées du pouvoir impérial ; celle de Dioclétien, en 303-304,
fut terrible, et beaucoup de chrétiens africains apostasièrent sous la
contrainte. C'est à cette époque que naquit sous l'impulsion de Donat, évêque
de Numidie, un mouvement que les historiens ont appelé «donatisme» ; celui-ci
revendiquait la pureté de l'Église et dénonçait les reniements de certains
prêtres. Purement théologique initialement, ce mouvement évolua vers une
opposition à la domination romaine. Cependant, l'évangélisation se poursuivit,
dépassant parfois les limites géographiques de l'Empire romain. Toutefois,
malgré des conversions tardives – comme celle des Garamantes, au sud de
l'Atlas, vers 568-569 –, le christianisme resta une religion principalement
urbaine.
L'islam
La conversion des Berbères à l'islam fut massive. Implantée d'abord dans les
cités, la nouvelle religion gagna progressivement les campagnes, les plateaux
et le Sahara méridional. En se convertissant à l'islam, les Berbères ne
renoncèrent pas à leur esprit d'indépendance. C'est sur le terrain même de la
religion qu'ils exprimèrent leur opposition aux Orientaux. Des deux grands
courants dissidents nés des discussions à propos de la succession du Prophète,
le chiisme et le kharidjisme, c'est ce dernier qui eut auprès des Berbères un
grand retentissement. Austère et égalitaire, le kharidjisme ne manqua pas de
les séduire. À bien des égards, et bien que né hors d'Afrique, le kharidjisme
rappelle dans l'Histoire de l'islam maghrébin le donatisme berbère de l'époque
chrétienne. Par opposition, les kharidjites berbères, après des révoltes
sanglantes, formèrent des royaumes indépendants tels ceux de Tahert et de
Sidjilmasa. Au Xe siècle, les Ketama de Petite Kabylie constituèrent au profit
du mahdi Obeid Allah un grand empire chiite (fatimide). L'orthodoxie (le
sunnisme) ne triompha qu'à partir du XIe siècle ; son succès fut l'œuvre
d'autres Berbères : les Sahariens nomades Lamtouna d'abord, les montagnards
Masmouda ensuite l'imposèrent définitivement. Avec l'avènement au XIIe siècle
de l'Empire almohade, la dissidence religieuse ouverte fut bannie du Maghreb.
Seul le kharidjisme, dans sa tendance ibadite, survécut au mouvement
réformateur almohade. Du djebel Nefousa, en Libye, au Mzab, en Algérie, et à
l'île de Djerba, en Tunisie, des communautés ibadites se sont maintenues
jusqu'à nos jours.
Langue
La langue berbère constitue aujourd'hui un ensemble de parlers locaux
éparpillés sur un vaste territoire. En dehors de certaines zones à forte unité
géographique – telles que les Kabylies en Algérie ou le pays chleuh au Maroc –,
ces parlers ne permettent que rarement l'intercompréhension des différents
peuples. L'arabe – comme hier le latin ou le punique – permet la communication
d'un groupe à l'autre. Cette situation linguistique n'est pas originelle ;
malgré leur diversité, ces parlers berbères ont des structures syntaxiques
communes. On suppose qu'une langue berbère homogène a existé avant d'éclater en
4 000 à 5 000 idiomes. L'histoire de la langue berbère reste cependant de
reconstruction difficile. Le linguiste dispose de quelques fragments de textes
en berbère, des ethniques, des toponymes et anthroponymes conservés par les
sources arabes médiévales. C'est peu pour restituer l'évolution d'une langue.
Le libyque, dans lequel sont rédigées plus de 1 200 inscriptions d'époque
antique, est tenu pour une forme ancienne du berbère, sans que des preuves
scientifiques aient été fournies. L'alphabet libyque – connu d'après certaines
inscriptions – s'apparente à celui du touareg actuel, le tifinagh, et les données
de l'anthroponymie et de la toponymie militent en faveur de la parenté et de la
continuité entre le libyque et le berbère. Pour mieux connaître la langue
berbère et pallier le manque de documentation historique, les spécialistes ont
aussi recouru au comparatisme. On a cherché très tôt à apparenter le berbère à
d'autres idiomes. Ainsi le guanche, langue parlée jusqu'au XVIIe siècle aux
îles Canaries, lui fut-il rattaché. Le berbère fut également rapproché du
haoussa et du basque. Ces démarches se sont révélées infructueuses. En fait, la
théorie qui place le berbère dans un grand ensemble linguistique à côté de
l'égyptien ancien, du couchitique et du sémitique emporte actuellement
l'adhésion de la plupart des linguistes.
Littérature
Dès le VIe siècle avant J.-C., le berbère fit l'objet d'une écriture : le
libyque. De très nombreuses inscriptions attestent l'utilisation par les
Berbères, dès l'Antiquité, d'un alphabet consonantique proche de celui utilisé
de nos jours chez les Touareg. L'écriture libyque devint usuelle surtout dans
les zones sous forte influence punique – Tunisie septentrionale, Nord
constantinois et Maroc du Nord –, malgré une certaine évolution ; cependant,
elle ne put se généraliser et disparut à l'époque romaine. Les Berbères utilisèrent
assez tôt les langues étrangères. C'est en latin qu'écrivirent des auteurs
africains aussi illustres qu'Apulée, Tertullien, saint Cyprien ou saint
Augustin. Le latin, langue de l'administration dans les provinces romaines
d'Afrique, devint aussi, avec le christianisme, langue de religion.
L'islamisation entraîna par la suite l'arabisation linguistique des Berbères.
Toutefois, à l'époque islamique, il y eut encore une littérature berbère écrite
; peu fournie, et essentiellement de nature religieuse, elle consista en
quelques textes et ouvrages transcrits en caractères arabes avec des signes
additionnels. À côté de traités ou de commentaires de religion, souvent
attribués aux ibadites ou aux Almohades, il faut mentionner deux Coran rédigés
en berbère et attribués l'un à Salah ben Tarif (VIIIe siècle), l'autre à Hamim
des Ghomara du Maroc septentrional (Xe siècle). Les archives, rares et
récentes, consistent pour l'essentiel en textes juridiques. Le droit berbère –
de tradition coutumière – fut consigné par écrit à des époques différentes.
Ainsi des règlements de nature pénale furent rassemblés en recueils. Certains
de ces documents, originaires du pays chleuh, dateraient du XIVe siècle après
J.-C., d'autres furent rédigés à des époques plus tardives. Le corpus des
recueils de droit coutumier berbère s'est enrichi récemment de nouveaux
documents marocains publiés dans leur langue originale. Autrement importante
fut et demeure la littérature orale berbère. Des contes et des légendes
fidèlement conservés par la mémoire féminine constituent une bonne partie de la
tradition orale. La poésie est également riche et ne manque pas d'originalité.
Les Berbères eurent de grands poètes dont certains – tel le Kabyle Si Mohand
(vers 1845-1906) ou la targuia Daçin – furent de véritables aèdes. D'autres,
itinérants et professionnels, tels les amedyaz du Haut Atlas au Maroc ou les
ameddahs de Kabylie, surent longtemps entretenir la mémoire collective berbère.
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