La société kabyle, comme toutes les sociétés humaines, a assigné aux femmes une place et un rôle en fonction de ses nécessités, de sa culture et de son degré de développement.« Vous avez tous chanté ma beauté
Vous avez tous loué mon sens de l’honneur,
Nul ne s’est, pour autant, soucié de mes droitsJe vais vous demander des comptes »Ces terribles paroles d’une très belle chanson que Nouara a interprétée au début des années 70, sont l’expression d’une prise de conscience collective du statut de la femme au sein de la société kabyle. Elles appellent à son dépassement tant il est vrai que, pour l’époque, il n’était pas reluisant et peine encore de nos jours à évoluer. Même si nombre d’aspects ont changé et des résistances ont été vaincues, d’autres, en revanche, sont toujours tenaces. C’est ce que nous essayerons de voir dans cet exposé.
La société kabyle, comme toutes les sociétés humaines, a assigné aux femmes une place et un rôle en fonction de ses nécessités, de sa culture et de son degré de développement. Nous n’avons pas suffisamment de documentation relative à la société kabyle à même de nous édifier sur un état des lieux avant celui fait par la colonisation française. Il ne nous reste que le roman pour retrouver quelques aspects de la situation des femmes kabyles et dont notre génération peut encore témoigner. Le seul document authentique et ancien que nous ayons sur ce sujet est une copie datée de 1848 d’une décision d’exhérédation de la femme kabyle et dont l’original remonterait à 2 siècles auparavant.
A – L’Exhérédation
Une société régie par le droit musulman accorde, en principe, à la fille d’hériter moitié moins qu’un garçon. La Kabylie a outrepassé une telle prescription suite à des problèmes insolubles issus de son application. Pourquoi ? Le coran a été « révélé » dans la péninsule arabique où les sociétés nomades du désert vivaient essentiellement de commerce dont le produit en pièces d’or ou d’argent pouvait aisément être réparti entre les héritiers dont font partie les femmes. Il n’en est pas de même dans une société vivant exclusivement de l’agriculture comme la société kabyle pour qui la terre est sacrée et en général régie par l’indivision. La terre appartenait hiérarchiquement au grand-père (patriarche), ensuite à la famille élargie, au clan, au village, et enfin, au Arch. La propriété de la terre qui ne devait en aucune façon être détenue par quelqu’un d’autre en dehors des membres mâles de la famille posait problème dès qu’un père n’avait pas de descendance masculine. Ses filles qui en ont l’usufruit n’avaient pas le droit de faire changer de famille aux terres en se mariant. Et de toutes les façons la terre est un bien qui ne s’emporte pas dans ses bagages et sa dot en alleant dans d’autres villages ou d’autres Arch. Voilà pourquoi une telle décision, si injuste à nos yeux aujourd’hui, était nécessaire pour la paix civile d’alors.
Aujourd’hui, même si L’État algérien est revenu à la disposition édictée par le coran, la Kabylie a du mal à s’y résoudre. On touche à l’argent de l’héritage mais pas à la terre. Cependant, c’est un principe auquel on déroge quelquefois. En effet, on a vu des vieillards kabyles qui ne souhaitent pas qu’après leur mort leurs propriétés reviennent à la fratrie, se rendre chez un notaire pour faire acte de donation à leur femme ou leurs filles. En dehors de ces cas isolés, aucune loi ne semble en mesure de déboulonner pour le moment cette disposition du droit coutumier, tant sa pratique va de soi dans une société où le rapport à la terre est si charnel. En revanche, la polygamie en déclin en Kabylie se prêterait plus facilement à son interdiction définitive.
B – La polygamie
C’est une pratique qui date de la préhistoire puisque le roi Massinissa avait au moins 48 garçons qu’il ne pouvait engendrer avec une seule femme. La société kabyle héritant des traditions amazighes en a gardé l’usage pour un certain nombre de raisons dont certaines font de nos jours sourire : Les hommes dans une société méditerranéenne étaient à la fois la richesse, la sécurité et le pouvoir. En engendrer le maximum dans un monde non médicalisé où la mortalité infantile était effarante et les guerres fréquentes était un sport national. On garde de cette croyance des traces jusque dans la chanson dite moderne . Par ailleurs, après une guerre les veuves sont en général remariées dans la fratrie de leur défunt mari pour, disait-on, garder les orphelins dans le giron de la famille paternelle. C’est ce qui aurait relancé cette pratique en Kabylie au lendemain de la guerre d’Algérie dans laquelle, en sept ans, elle aurait perdu au moins trois cents mille hommes. Des cas de bigamie se rencontrent encore chez des hommes qui, pour différentes raisons, sont incapables de divorcer de leur première femme . Le poids de la tradition reste relativement important en Kabylie malgré une évolution des mœurs assez prononcée.
C – Le combat des femmes kabyles
La femme kabyle n’a jamais cessé de se battre pour se faire respecter et se faire entendre. Elle avait et a toujours affaire à plus forte partie qu’elle, le système traditionnel et celui du régime arabo-islamiste algérien. Fadma N Summer est, historiquement, la premièrefemme kabyle à avoir fait voler en éclats la loi des hommes en refusant de consommer son mariage convenu entre familles et en menant elle-même une révolte armée contre l’invasion de la Kabylie par la France, elle dut affronter le Général Rondon en 1857. L’autre femme qui a bravé la loi kabyle est la grand-mère de Marguerite Taos et Jean El Mouhoub Amrouche comme l’a rapporté leur mère Fadma At Mansour. Ensuite, toutes les femmes qui s’étaient engagées dans les rangs de l’ALN avaient transgressé l’interdit kabyle. Vivre en compagnie des maquisards était pour le moins choquant pour les esprits bien-pensants de l’époque. Il faut pour autant nuancer notre jugement. Même si une Cherifa, en osant chanter à la radio au début de la guerre d’indépendance, était menacée de mort par un membre de sa famille, les hommes qui avaient pris le maquis durant cette lutte armée oubliaient, malgré eux, leur obligation de défendre l’honneur de leurs femmes et de leurs filles à lors des incursions fréquentes des soldats français dans les villages Kabyles . Le reste est affaire de chanteuses, de poétesses, de femmes instruites, d’universitaires ou de filles revenant de France pendant les vacances d’été. Nouara, Hadira Oubachir, Tassadit Yacine, Djouhra Abouda, Malika Domrane, Yasmina, Nabila Djahnine et Karima Nait Sid qui avaient créé l’association « Tighri n tmettut (le cri de la femme)…ont toutes apporté leur touche personnelle à cette œuvre interminable qu’est le combat pour l’émancipation de la femme kabyle. Cependant, le point d’orgue le plus récent de la lutte de nos sœurs et de nos filles a été l’organisation de marches des femmes durant le « printemps noir » de 2001 où elles étaient des centaines de milliers à descendre dans la rue à Vgayet et Tizi-Wezzu. J’ai le plaisir et l’honneur de partager cette tribune avec Kamira Nait Sid, présidente du « collectif des femmes du printemps noir ». Il est évident pour nous que dès lors que la Kabylie souhaite restituer à ses femmes leurs droits conformément à leurs aspirations, seul un statut d’autonomie régionale lui permettrait de légiférer contre le code de la famille en le remplaçant par des lois civiles égalitaires entre la femme et l’homme. A l’occasion de cette journée mondiale de la femme, nous exprimons notre solidarité avec le combat de la femme kabyle pour recouvrer ses droits. Nous savons aussi qu’elle est sur la bonne voie. C’est en ce sens que pour conclure cette intervention nous nous en remettons à des paroles écrites et chantées par des femmes.
FADMA N SUMMER
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